À propos

Cela fait plus de dix ans que Vincent Legault œuvre en tant qu’arrangeur, compositeur et concepteur sonore sur la scène artistique montréalaise. C’est un musicien complet, issu d’une formation en jazz puis transformé par la pop. Sa carrière transcende les genres et les disciplines. 

On irait jusqu’à dire qu’il a tout fait. Il a travaillé avec Pierre Lapointe, Sophie Cadieux, Salomé Leclerc, Alexia Bürger, Frédérick Gravel, Énora Rivière. Il a multiplié les spectacles, ici comme outremer, tant avec Random Recipe à ses débuts que maintenant avec Dear Criminals. Seul et avec son groupe, il a composé et arrangé pour le théâtre. Pour la danse. Pour la télé et le cinéma (récoltant au passage, avec Dear Criminals, l’IRIS de la meilleure bande sonore originale pour Nelly).

La pratique musicale de Vincent se nourrit de cette multiplicité. Il peut signer un arrangement de cordes angélique et concevoir un boucan abrasif de  synthétiseurs la seconde suivante. Il a fait autant de musique qui se danse que de musique qui se pleure, autant de musique qui hante que de musique bonbon. 

C’est aujourd’hui, après dix ans d’effervescence, que Vincent dévoile un premier projet pour soi : Mille Milles, créé en collaboration avec la dramaturge et actrice Evelyne de la Chenelière. 

Il s’agit, comme on devait s’y attendre, d’un projet multidisciplinaire et multi-genre. Les douze morceaux du disque ont un pied dans le théâtre, un dans la poésie et un troisième dans un savant mélange de musique de chambre et de musique électronique (ce projet requiert en effet trois jambes). 

L’album est à la frontière du littéraire et du musical. En y employant la musique comme langage et la langue comme texture, Vincent cherche à déjouer l’autorité de la langue sur le son. On nous présente une musique qui parle, gonflée à en fendre d’une expressivité toute cinématographique, puisant dans le kitsch des bandes sonores de la Nouvelle Vague. S’impose ensuite la voix d’Evelyne de la Chenelière, déployée en une parole fragmentaire, tissée de souvenirs épars, de bribes de vers, de répliques de film. Un flot disloqué que la musique avale et recrache, passant en catimini de bouillants arrangements de cordes à des sections électroniques minimalistes.  

Les mots dictent au son, ça va de soi : mais pourquoi, au fait ? On tâche ici de renverser cet ordre.  Une parole sens dessus dessous rencontre une musique éloquente, et le langage se voit dépossédé de sa suprématie sur le sens. On ne la tient plus pour acquise. 

La langue parlée, éveillant malgré tout un besoin viscéral de faire sens, est ici une matière insensée. Un hameçon. Mieux : une piste de cailloux blancs qui s’arrête au beau milieu du bois. C’est donc au son de la musique qu’il faudra retrouver son chemin.

Ce premier album solo est une œuvre dense, aboutissement d’une décennie d’expérimentations et de découvertes. Mille Milles est un projet qui interroge ingénieusement la base même de notre relation au sens. La musique y redevient une expérience complète, à écouter sans distractions.